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Les Oppida de Romandie

Publié le par Joël Demotz

Les Oppida de Romandie

Quand nous pensons aux Celtes, certaines images viennent tout de suite à l'esprit: les druides cueillant le gui, Vercingétorix sur son cheval et, lié à cette image, le siège de l'oppidum d'Alésia. César, dans son commentaire de la Guerre des Gaules, parle de ces cités abritant les peuples de la Gaule et qui furent à de nombreuses reprises le théâtre d'affrontements acharnés entre légions romaines et guerriers gaulois. Cette facette importante de l'anthropologie guerrière celte, liée chronologiquement à la période que nous représentons, méritait bien un article !

Donc, tout d'abord, qu'est-ce qu'un oppidum, oppida au pluriel?

César décrit le mur gaulois dans sa Guerre des Gaules (livre 7.23) qu'il rencontre durant le siège d'Avaricum (Bourges actuelle). Il relate un vaste rempart de terre, de bois et de pierre entourant une ville. Les savants, notamment Napoléon III, passionné par César, ont tenté à de nombreuses reprises de retrouver ces oppida cités par César. Malgré des débuts parfois laborieux, un grand nombre d'entre eux a pu être identifié et une définition les concernant a été mise au point. Cette définition consiste en trois points. Le premier concerne le rempart, celui-ci doit être présent et protéger la cité. En outre, il doit comporter des portes monumentales, ce qui constitue de deuxième point. L'archéologie ne permettant pas toujours de retrouver celles-ci, ce sont parfois seulement des hypothèses qui sont retenues. En troisième lieu, la ville doit comporter un plan directeur. On ne parle pas d'une ville à la grecque ou à la romaine, comme dans le monde méditerranéen, mais néanmoins de quartiers définis, avec des artisans et, dans de nombreux cas, des lieux de culte.

Le mur est capital dans la définition de l’oppidum et mérite donc qu’on s’attarde sur sa composition. Dans le monde celtique, on trouve deux types de fortifications. La première est décrite par César, le murus gallicus, et se retrouve dans la partie Ouest de l'Europe et plus particulièrement dans la France actuelle. On en trouve un exemple en Suisse, à Sermuz, qui sera traité plus bas. La seconde doit son nom à des savants allemands, le Pfostenschlitzmauer, ou « muraille à poteaux frontaux ». Cette mode se trouve dans la partie orientale du monde celtique, en Allemagne actuelle notamment. En Suisse, c'est cette dernière qui est utilisée dans tous les cas connus à l’exception de Sermuz.

Notre association reconstituant le mode de vie d'Helvètes situé en Romandie, nous développerons surtout les oppidas présents sur ce territoire. Mais avant de parler de ceux-ci, quelques explications concernant le contexte sont nécessaires.

Les Helvètes entrent dans l'Histoire avec un grand H via l'un de leurs peuples, celui des Tigurins. Ceux-ci se joignent aux migrations des Cimbres et des Teutons en direction du Sud de la France. Après avoir aidé les Volques Tectosages de la région de Toulouse dans une rébellion contre Rome, ils écraseront, sous l'impulsion du jeune chef Divico, deux légions romaines, celles du consul Cassius, qui sera tué au combat. Après cette victoire, puis celle d'Orange durant laquelle ils anéantiront à nouveau les légions romaines, ils rentreront sur le plateau suisse après que Marius, un général romain prometteur, ait vaincu les Teutons, puis les Cimbres. Ceci se passait dans les années 105 av. J.-C., et une cinquantaine d'année après, César nous informe que les Helvètes veulent de nouveau partir au Sud, mené à nouveau par le vieillissant chef Divico, celui-là même qui avait fait passer sous le joug les armées romaines. En 58 av. J.-C., les Helvètes partent après avoir, comme le dit César, mis le feu à leurs oppida, au nombre de 12, ainsi qu'à leurs villages, au nombre de 400. (Guerre des Gaules 1.5) Malheureusement, César vaincra les Helvètes à Bibracte et ceux-ci rentreront au pays et réoccuperont le plateau suisse. Cette date de -58 a passionné les antiquaires puis les archéologues qui tentèrent de retrouver ces fameux 12 oppida du plateau suisse ainsi que de relier leur abandon à cette date, avec un succès passablement mitigé,

Voici donc une brève présentation concernant les oppida retrouvés en Romandie. Une petite précision concernant celui de Genève : celui-ci ne sera pas traité, car il est sur le territoire du peuple allobroge, déjà sous influence romaine lors de la Guerre des Gaules alors que notre association s’occupe plutôt du peuple Helvète. Les oppida traités seront au nombre de trois: Yverdon, Sermuz et le Mont-Vully.

En premier, l’oppidum d’Yverdon. Cet oppidum n’a été découvert que récemment via des fouilles au début des années 90. L’excellente qualité des vestiges a permis la restitution du rempart avec une grande précision. Ce rempart couvre une surface de 4 à 8 hectares, ce qui en fait un oppidum de taille modeste, mais il possède une structure impressionnante : deux rangées de poteaux frontaux inclinés légèrement vers l'intérieur pour une meilleure stabilité, un modèle absolument unique. (voir dessin en bas). La dendrochronologie a même permis de le dater avec une grande précision : il date des années 91/90 av. J.-C. Néanmoins, il a été volontairement détruit une cinquantaine d'année plus tard, et nous en ignorons la raison. Une crue du lac ? Un mouvement de population ? La question est encore ouverte.

A deux kilomètres à peine plus au Sud se dresse la colline de Sermuz, avec à son extrémité l’éperon que barre le murus gallicus de l'oppidum. Celui-ci a également été découvert tardivement, entre 1983 et 1984, et lui aussi est très bien conservé. Les archéologues l'ont restauré sur une portion de terrain afin de donner un résultat visuel à la recherche (voir photo). Cet oppidum a été daté comme ayant fonctionné après la guerre des Gaules et la défaite de Vercingétorix, ce qui pourrait signigier que cet oppidum ait été élevé dans un mode constructif non utilisé en Suisse.

Le troisième oppidum est une fierté du canton de Fribourg : l'oppidum du Mont Vully (voir photo). Celui-ci a été fouillé à de nombreuses reprises et son rempart est bien connu : un mur à deux rangées de poteaux frontaux. Le mur a même donné son nom à l'un des sous-types concernant les Pfostenschlitzmauer : le type Vully. En plus de ces deux rangées de poteaux, il a été réparé et une troisième rangée a été ajoutée, en quinconce de la première. En plus de son impressionnant rempart, le Mont-Vully a livré plusieurs portes et surtout les tours les protégeant, ajoutant encore à la structure un côté ostentatoire. La construction du mur a été datée de 120 av. J.-C., ce qui en fait le plus ancien des oppida de Romandie, parmi ceux qui sont connus à ce jour. La date de la réparation n'est pas connue, mais on suppose qu’elle se situe autour du premier siècle avant notre ère. Il est certain que c'est un incendie qui a détruit le rempart, et les savants se sont empressés d'avancer que celui-ci était lié à la migration Helvète. Cependant, les recherches récentes et le matériel découvert contredisent cette option: l'hypothèse la plus retenue fait état d’un abandon dans les années 80 av. J.-C.

Cette brève présentation de trois oppida de la Romandie permet donc de se faire une idée de ce que pouvait être l'urbanisation au cours de La Tène finale dans nos régions et quel était le contexte dans lequel les guerriers de Viviskes pouvaient vivre. Nous sommes loin de l'image du barbare vivant dans les bois : ce sont de puissantes cités rivalisant d'ostentation avec le monde méditerranéen et nous comprenons fort bien, via les restitutions proposées, l'impression que ces fortifications eurent sur César lors de sa conquête.

Bibliographie :

FICHTL, S., Les premières villes de Gaule : Le temps des oppida, Lacapelle-Marival, 2012.

KAENEL G., L'an -58, les Hélvètes, Archéologie d'un peuple celte., Grandes dates, Lausanne, 2012

BRUNETTI C., et al., Yverdon et Sermuz à la fin de l’âge du Fer, CAR 107, Lausanne, 2007

KAENNEL G., CURDY F., CARRARD F., L’oppidum du Mont-Vully. Un bilan des recherches 1978-2003, AF 20, Fribourg, 2004

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